Note
Le principe du film l’Ébranlement est double, basé sur le rapprochement visuel de deux termes éloignés (l’escrime et le feu d’artifice) et sur un principe de dépense (le possible engendrement de l’un par l’autre). Des images de feux d’artifice sont montées en écho à des plans d’un duel d’escrime, situé dans une architecture trouée, à arcades (la Vieille Charité, à Marseille), qui multiplie les passages incessants de l’ombre à la lumière. À l’instant du heurt (la pointe du fleuret touchant le corps de l’adversaire), le feu d’artifice s’éploie comme si le contact s’établissait — explosion, mode épidémique de contamination par piqûres successives, point par point. Au toucher du fleuret répond l’embrasement du ciel. Dès que le ciel s’obscurcit, après l’extinction des dernières pointes de lumière, le duel d’escrime peut reprendre, à la manière d’un carillon ou d’un jeu automate. L’attaque est un éclair qui embrase la collure.
À l’instar des mouvements des escrimeurs qui obéissent à une dépense musculaire apparemment sans fatigue (effet de la répétition des plans), les bouquets du feu d’artifice semblent naître d’eux-mêmes, sans cesse renaissants, comme une fleur d’une fleur, éclosion d’éclosion. Machine célibataire qui ne serait pas affectée par la perte, mais au contraire convertirait immédiatement sa dépense en énergie.
La figure de l’émotion est ici tirée du côté de son engendrement mécanique, artificiel, du côté de sa production. Elle est le lieu d’un procédé. Le corps est inquiété par la marionnette, l’automate, le masque, une certaine gesticulation forcée que brusque l’émotion. (1997)

 

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À propos de l'alchimie
« Dans les meilleurs cas des allégories hermétiques, l’attention est captée par le caractère inhabituel de la scène représentée, par la difficulté ou l’absurdité de l’entreprise, par un détail aberrant ou incroyable, par un événement dramatique, par un contraste surprenant : ainsi ce roi qu’on a déjà connu transpirant dans une étuve ou étendu solitaire sur un lit à baldaquin et qu’on voit maintenant nageant désespérément, loin de tout rivage, toujours couronne en tête et implorant un secours improbable ; l’homme décidé, s’apprêtant à couper en deux de son glaive, d’un geste théâtral et excessif, un œuf énorme qui se tient miraculeusement en équilibre sur sa pointe ; les quatre sphères superposées au-dessus d’un étang ; la rencontre dans la forêt de la femme nue et du guerrier en armure ; l’hermaphrodite sur le gril et les flammes, l’épaisse fumée qui s’élève autour de son corps déjà en train de se consumer et pourtant encore intact, comme indestructible ; avant tout, le paysage tranquille où le chemin creux, le fleuve, les arbres n’ont rien que d’accueillant et que l’on aperçoit petit à petit, en regardant mieux, parsemés de grosses pierres cubiques, qu’on n’avait pas repérées d’abord, sans doute chues du ciel, d’où certaines, d’ailleurs, sont encore en train de tomber. Le fantastique dans les emblèmes alchimiques demeure entravé mais il n’est pas difficile de retrouver en des œuvres qui n’ont aucun rapport avec la recherche de la pierre philosophale les mêmes ressorts qui assuraient le mystère des images destinées à guider les adeptes. »
 
« Une planche d’un traité d’escrime, une mine de sel, une chambre noire d’avant la photographie, la chasse aux martinets dans une ville italienne vers 1570 ou aux canards sauvages par des Chinois coiffés de demi-courges évidées, il n’est rien qui ne fournisse occasion à ce fantastique masqué de faire une entrée sournoise. »
 

Roger Caillois, Au cœur du fantastique

 
 
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