En réponse à un questionnaire proposé par la revue Exploding qui se proposait, dans son n°11, "État des yeux", paru en 2006, d'offrir une cartographie du cinéma expérimental français.


Un enfant court dans les vagues. Il saute dans l’écume. Son ombre glisse sur le sable. Il frotte un galet contre sa joue en regardant fixement la caméra de ses yeux noirs. Plus tard, il joue avec la lucarne d’une porte. Il apparaît, disparaît. Il court dans l’herbe. Plus tard encore, un paysage se couvre de neige. Plus tard, les arbres sont en fleurs, d’autres sont agités par le vent. Voici quelques-unes des images qui composent le troisième volet, intitulé la Belle Étoile, d’un journal filmé qui suit, pas à pas, les saisons d’un enfant.

Je filme mon fils, Félix, depuis sa naissance en 1997. Ce sont des films de plein air, sur le motif, silencieux, ponctués de noirs, assez fidèles au cinéma des frères Lumière, à la lisière du documentaire et du film de famille. C’est un travail originel, radical (proche de la racine). Je souhaite forger des plans qui soient premiers, au sens arithmétique : divisibles par un ou par eux-mêmes. Lisses comme des galets, insécables, sans faille. Dont la succession, à la manière des nombres, ménage des intervalles arbitraires. Le film déroule une suite de plans premiers.

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Ce journal filmé excède quelque peu le mobile des autres films pour se tenir à l’intersection fragile du privé et du public. Conçu au départ comme un simple home movie, il a suscité, à mon propre étonnement, un vif intérêt dans le champ du cinéma documentaire. C’est un projet en cours (un quatrième épisode est amorcé, sonore cette fois-ci) qui peut cependant s’interrompre à tout moment, selon le désir de mon fils. La plupart des autres films répondent à des programmes plus concertés : ce sont des traités poétiques, en vue d’expérimenter une proposition formelle et de cartographier un imaginaire. D’autres projets encore relèvent d’une rencontre fortuite, d’une occasion.

Je tourne en 16 mm, le plus souvent avec ma propre caméra mécanique, une Paillard-Bolex. Il m’est arrivé de recourir parfois, selon la nature du projet, à un mode de production moins solitaire, supposant une petite équipe technique, la location de matériel, l’usage d’un studio. J’aime à varier les économies. Les films ressortissent à une logique traditionnelle : tournage sur pellicule négative, copie de travail, étalonnage, report optique, tirage de copies de série. Mais les budgets restent modestes, croisant les bourses de création avec les apports en industrie. Les journaux filmés sont produits avec mon propre argent de poche. Je réalise depuis peu des films en vidéo. J’y prends beaucoup de plaisir. C’est une autre méthode de travail, très proche de l’écriture, qui renouvelle les modalités de production.

attractionuniverselle2.jpgChacun de mes films tend à la découverte à tâtons, du bout des doigts, d’une proposition formelle : la rencontre, par exemple, d’un duel d’escrime et d’un feu d’artifice ou la superposition d’une imagerie orientale avec un jardin romain. Expériences pour voir. J’ai le sentiment d’être un géographe attiré en secret par l’exploration. Pour participer d’une économie hors système, privilégier un travail de la forme et partager un même fonds de références, j’ai longtemps pensé que ces films trouvaient leur site naturel dans le cinéma expérimental. Mais ils ne furent pas, à de rares exceptions près, reconnus comme tels. Sans doute présentent-ils au regard d’une tradition expérimentale dure et pure de trop nombreuses irrégularités : unité du plan, affleurement de la fiction, forme parfois proche du documentaire, recours éventuel à des modèles, regards complices vers le cinéma d’auteur. Ce fut en fait avec le champ de l’art contemporain, et plus précisément celui du film d’artiste, que je retrouvai certaines préoccupations communes : confrontations entre la forme documentaire et l’essai filmé, le dispositif et la mise en scène, équilibre fictionnel entre le récit et le tableau, mise en perspective de la projection dans l’installation, etc. Les arts plastiques ont constitué une véritable « terre d’accueil ». Alors, film d’artiste ? Cinéma de poésie, pour reprendre l’expression de Pasolini ? Peut-être, mais dans un dialogue toujours en alerte, vif et passionné, avec l’histoire du cinéma expérimental inquiétée par ses différences.

J’ai longtemps montré mes films dans une relative confidentialité. Je louais une salle de cinéma, envoyais une centaine d’invitations et recevais, anxieux et cordial, des spectateurs étonnés. Cette diffusion privée participait du mode personnel de production visant à réaliser des films sans intérêt, au sens économique. Le sentiment de solitude, voire d’insularité, était aigu. La situation s’est modifiée grâce aux séances de projection régulières initiées en 1998 avec Christian Merlhiot autour de l’association pointligneplan. Outre nos propres films, nombre d’œuvres singulières (elles ne cessent d’ailleurs de se multiplier) ne trouvaient place ni dans les festivals de cinéma traditionnels, ni dans les sélections expérimentales, ni dans les musées. Par un travail de programmation et d’édition, l’archipel pointligneplan s’est employé à déplacer la question de l’expérimental en explorant les passages entre cinéma et art contemporain. Aussi mes films ont-ils gagné peu à peu en visibilité et je montre désormais régulièrement des programmes dans des cinémas d’art et d’essai et des musées. Cette diffusion nouvelle n’a pas vraiment altéré la sensation de solitude. Les films se font toujours en secret, à la dérobée, comme des rituels clandestins. C’est pourquoi leur édition récente en DVD aux Éditions Léo Scheer me paraît fidèle à leur nature. Ce sont des lettres que l’on peut lire en cachette, des envois qui affectionnent la confidence (les paroles soufflées à l’oreille du spectateur), l’ésotérisme, la cryptographie.

cornellrosehobart01.jpgCertaines trajectoires me touchent particulièrement : celle d’Érik Satie enfouissant ses propres lettres dans le coffre de son piano, celle de Joseph Cornell qui conjugue l’esprit d’enfance et le secret (son jardin d’Utopia Parkway m’apparaît comme un atelier de cinéma idéal). J’aime aussi la relation d’un László Moholy-Nagy ou d’un Hans Richter avec le cinéma. À un moment donné, le cinéma permet de poser certaines questions, plus précisément de rebondir (ce seront ensuite la photographie, l’essai ou l’enseignement qui joueront ce rôle). C’est mon souhait le plus vif : rebondir. J’apprécie aussi l’obstination aiguë avec laquelle un cinéaste comme Johan van der Keuken a pu construire son œuvre.

Comment inventer des formes sans capitaliser ? Je suis très sensible au motif de la dépense improductive. Le film doit se consumer à la manière d’un feu d’artifice. Pyrotechnie du médium. J’aime que la pratique du cinéma ne soit pas un métier, emprunte les us de l’amateurisme (tournages impromptus, équipe amicale, budgets modestes). Questionner l’économie de production me semble participer d’une forme d’« engagement » même si je n’emploierais pas spontanément ce terme, très connoté. Force est de constater la raréfaction du public. Ce que nous faisons relève plutôt de la correspondance privée, du prospectus distribué aux passants. Le moment est-il venu de renouer avec l’agit-prop ?

Je cherche à documenter les figures de l’émotion. Fixer le vertige de la première fois. Le battement. L’instant où le jouet d’optique, doué d’une force magique, scintille. À ce moment-là, le jeu et la pensée se confondent : émotion du cinéma, intelligence d’une machine.


Publié dans Exploding, "État des yeux", n°11, 2006

 

***

Réponse à un questionnaire

1) Pouvez-vous décrire votre dernier film ?

2) Comment l’inscrivez-vous par rapport à vos films précédents, et/ou par rapport à vos films en projet ?

3) Comment réalisez-vous vos films, techniquement et économiquement ?

4) Les considérez-vous comme expérimentaux ou préférez-vous un autre terme ?

5 & 6) Qu’entendez-vous alors par cinéma expérimental et par expérimentation(s) ? Quelles différences ou quelles similitudes, quelles ruptures ou quels prolongements, y voyez-vous avec le cinéma de production comme avec l’audiovisuel et l’art en général (et en particulier) ?

7) Considérez-vous votre travail comme indépendant, voire solitaire, et/ou à quels autres films, œuvres, personnes, structures ou mouvements vous sentez-vous associés (autres domaines, autres temps et autres lieux compris) ?

8) & 9) Vous considérez-vous, ou considérez-vous vos films comme engagés ? En quel(s) sens ?

10) Que cherchez-vous, que trouvez-vous, que perdez-vous, que changez-vous en faisant des films ?

10+1) Que peut le cinéma ? (Question subsidiaire !)

Toucher le nerfToucher le nerf

 

À la suite de la publication du Tombeau pour un excentrique, en 1996 chez Deyrolle, cet entretien a été publié dans la revue La Main de Singe, à l'invitation de Claude Riehl et Dominique Poncet. Je tiens à rendre hommage ici à Claude Riehl, disparu brutalement en 2006, grand traducteur de l'écrivain allemand Arno Schmidt et amateur de littérature allemande expressionniste. Dominique Poncet poursuit l'aventure passionnante de sa revue sur son site La Main de Singe.



1.
Recette ou mode d’emploi : donner à voir ou à lire les « Matériaux » du Tombeau pour un excentrique revient-il à dévoiler ou bien à recouvrir sa préparation ? Je répondrai ici, autant que faire se peut, aux questions attentives et bienveillantes de Claude Riehl et Dominique Poncet.

tombeau.jpgLe Tombeau est le rejeton d’un projet plus vaste à l’origine, conçu comme un roman encyclopédique, feuilletonnesque, qui devait rassembler les biographies de nombreux personnages excentriques, réels ou imaginaires, selon une structure complexe, inspirée du jeu de l’oie. Ce projet ne connut jamais d’achèvement (il n’est pas abandonné pour autant). Rebelle par nature à un programme trop strict, sec devant la contrainte, j’accumulais pages, récits, fictions — sans conviction. Je cherchais un lien organique entre l’écriture et l’invention mais celui-ci se dérobait à mesure.

La maison de mes grands-parents fut mise en vente. Lors d’une ultime visite à ma grand-mère, je dressai un inventaire maniaque, exhaustif, de cette demeure. Ce fil descriptif, par associations d’idées, digressions et greffes successives, s’est étoffé peu à peu — de juillet 1990 à octobre 1994, après moult repentirs et abandons — pour former le Tombeau, rejetant dans l’ombre le projet initial, momentanément délaissé. Le Testament d’un excentrique de Jules Verne imagine un jeu de l’oie à l’échelle des États-Unis où chaque état représente une case. Le testament est devenu un tombeau, le territoire une maison.

Je fus donc amené — à mon insu ? — à donner une forme différente, sinon contraire, à mon écriture, en passant d’une écriture à contrainte, programmatique, inspirée peu ou prou des exercices oulipiens, à un travail d’épaississement (comme on le dit d’une sauce) autour d’un noyau fortement subjectif, autobiographique. La règle du jeu devint une succession : au double sens de la suite des objets rencontrés lors de la visite de cette maison dont le roman dresse l’inventaire, et de la transmission d’une histoire familiale (celle d’un grand-père excentrique) dont le roman témoigne. Succession toutefois débridée, éruptive, explosive (séquences, rêves, souvenirs), grave et bouffonne, selon la corde sensible tendue par la mémoire. Les deux lignes — voie sèche dans la construction, voie humide dans le lyrisme — se sont croisées, sans préméditation : découpe par chapitres brefs (que j’appelai « tableaux » ou « séquences »), musicalisation des motifs. Bref, toute une technique pour joindre les deux bouts.

Le mélange des deux registres a provoqué également le caractère hybride des personnages du roman. Alors que les personnages du projet initial étaient résolument soit fictifs, soit réels — certains figurent dans un essai, Jardins-rébus —, ceux du Tombeau seront pétris de cette contradiction — outrés, forcés, mêlant le vrai au faux, transposés. Ce travail d’épaississement s’accompagna d’une construction par instants lyriques, enchaînés comme les vignettes d’une machinerie optique. Touches successives. Et parfois tout à trac : fusées ! Émotion produite par artifice. L’émotion est un chronomètre, semblable à celui caché dans la main de Stan Laurel pour régler ses gags. Montrer à la fois l’effet spectaculaire et sa fabrication. L’ombre chinoise, vue depuis l’envers du décor — d’où l’épanchement de la poésie dans la réalité dont le cinéma offre, paradoxalement, des modèles : Keaton, Vigo, Jerry Lewis ou Buñuel par exemple qui pratiquent une esthétique de l’irruption et du surgissement. J’apprécie beaucoup en littérature le caractère visuel, voire visionnaire, des séquences, caractère qui suppose un fort souci de spatialisation. J’aime que la littérature cadre — la page, la découpe narrative en séquences mais aussi le lieu physique qu’elle invente et produit. Une cartographie qui permet de s’y retrouver, comme à la lecture d’un guide de randonnée. Littérature d’arpentage, en somme.

pochettewilfrid.jpgJ’ai dû lire, pour écrire — à l’image du copiste que fut Wilfrid. Sa bibliothèque, notamment. J’ai écrit, comme un singe tout fou, mes chapitres au dos des pages des livres de Wilfrid ; les imprimeurs n’y ont pas pris garde, publiant le tout. Je suis friand, comme lecteur, de toute une littérature trouvée, ordinaire, vernaculaire : traités de jardinage, manuels de pêche, d’astronomie, leçons de choses, dictionnaires illustrés, récits de voyage, livres pour enfants mais aussi biographies d’hommes plus ou moins célèbres (magnats du pétrole, marchands d’armes, créateurs d’hôtels, missionnaires protestants, promoteurs de spectacles forains), romans populaires (Leroux, Leblanc, Le Rouge), prose ésotérique, livres à compte d’auteur. J’aime le papier imprimé — à l’instar de Jean-Paul, dans son livre extraordinaire, la Vie de Fibel, collectant les papiers trouvés du polygraphe Fibel, fragments lacunaires de livres déjà écrits, utilisés par les paysans pour obscurcir une fenêtre ou confectionner des cornets de café. Littérature fabriquée avec des fragments prélevés directement dans la réalité, déjà littérature. Jean-Paul, notre moderne.

J’attends de la littérature la possibilité de toucher le nerf. Que cela doive en passer par le roman des origines, je n’en vois pas clairement la nécessité. Mais c’est un fait. Je n’ai pu tenter l’exercice de la littérature qu’en y recourant. Fouiller le lieu commun, creuser la source, affronter la chronique familiale, frôler différents registres contradictoires — fiction et documentaire, histoire et géographie. Dénuder le nerf, disent les physiologistes ; dénuder le procédé, selon les formalistes russes. Écorcher : rendre visible, à la pointe du stylet. Confronter une exigence lyrique avec une écriture réflexive, ironique, au tempo heurté comme une danse propre à fabriquer l’émotion. J’apprécie beaucoup, en matière d’essais de technique littéraire, les Calculs d’Arno Schmidt et les écrits des Formalistes russes, avec une prédilection particulière pour Victor Chklovski.

J’aime que le monde affleure sous un livre ; il pourrait même à tous égards le pulvériser, le trouer. Le livre n’est pas un écran, ni une lunette — plutôt plaque sensible, lieu de porosité. Il ouvre au monde qui le traverse à son tour. Un gisement d’ondes. Que la sensation vienne irriguer, drainer le cours de la lecture comme une pluie d’étoiles. De même en photographie, j’aime qu’un morceau du monde transpire sous la peau. Cette impression, je l’éprouve en lisant, entre autres, pour citer des auteurs de langue française : Nerval, Giono, Queneau, Cendrars, Larbaud, Cingria, André Druelle. Trouver la bonne distance. On peut mesurer la littérature en termes optico-photographiques : justesse du point de vue, instant décisif, vitesse d’obturation, luminosité, découpe du cadre. Justesse réciproque de la langue et de l’émotion. J’ai trouvé en Arno Schmidt un exemple stimulant. Comme Dziga Vertov souhaitait des films qui suscitent d’autres films, Arno Schmidt écrit pour susciter d’autres livres. Il ouvre un seuil. J’ai toujours été frappé par sa volonté d’être au plus près des sensations, d’une manière quasi naturaliste (la page pouvant représenter, par sa disposition graphique, la somme simultanée des perceptions locales), la précision du trait (son montage par instantanés), la vitesse d’écriture qui produit l’exultation étonnée du lecteur. La proximité au monde est chez lui littéralement fabuleuse.

J’aime que la littérature se tienne en équilibre instable sur cette ligne de partage, fragile, impure, balbutiante — d’où la bouffonnerie (les personnages les plus beaux chez Jean-Paul, assurément, prompt aux larmes), l’humour, le merveilleux qui sourd du réel (les contes, et surtout ceux des Mille et une Nuits), le fantastique qui fait se côtoyer le terrible et l’obscène, l’irrationnel et le burlesque (chez Hoffmann le partage entre deux mondes, en déflagration mutuelle — le Chat Murr ou Princesse Brambilla).




2.
Que dire ou dévoiler des « Matériaux » du Tombeau ? Des peintures de Wilfrid, des couvertures des livres cités, de ses lettres, photographies, carnets d’arpentage, journaux intimes, de son brevet de souffleur de verre, de son travail de toponymie, de sa monographie de Villeneuve-Saint-Germain ?

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J’ai dû inventer mon grand-père pour le trouver. Il m’a été donné deux fois. Démêler le vrai du faux serait maintenant périlleux. Tout est exact, en un sens, dans la mémoire enfantine qui est mienne.


« La Ville de Villeneuve-Saint-Germain est située dans la vallée de l’Aisne à 1° 1’ 25” de longitude Est et à 40° 22’ 28” de latitude Nord. La rivière d’Aisne la sépare, au Nord de la commune de Bucy-le-Long, au Nord ouest de Crouy, puis elle est bordée à l’Ouest et au Sud par Soissons de laquelle elle est séparée par l’avenue de Reims sur 600 mètres, au Sud la route Nationale n° 31 la sépare de Billy-sur-Aisne, à l’Est elle a pour voisine Vénizel. » (Monographie de Villeneuve-Saint-Germain).

Wilfrid apparaîtra-t-il dans de nouvelles aventures ? N’est-il pas, désormais, définitivement embaumé ? Sans doute les fabricants de feuilletons, littéraires ou cinématographiques, devaient-ils souvent se demander : « comment faire réapparaître, pour les besoins de la fable, le héros malencontreusement disparu dans l’épisode précédent ? » Mais Wilfrid étant déjà revenu d’entre les morts, pourquoi n’apparaîtrait-il pas une seconde fois dans un achèvement, par exemple, du projet initial, ce roman encyclopédique et feuilletonnesque, en compagnie d’une confrérie d’excentriques picards ? Occasion d’offrir au lecteur le dialogue entre Arnaud de Villeneuve et le comte de Saint-Germain ? Sait-on jamais ?

Je suis l’auteur de la photographie de couverture du Tombeau.

Le tableau de Jérôme Bosch préféré par mon grand-père n’était pas le Jardin des délices — quoique l’opération érotico-alchimique dont je fus l’acteur semble de toute évidence inspirée par cette image — mais l'Escamoteur dont il avait punaisé, à son chevet, une reproduction noire et blanche. Je n’ai jamais su quel était le motif exact de son intérêt : s’identifiait-il à l’escamoteur précisément, au gredin (complice du précédent) qui dérobe sa bourse au spectateur crédule, ou au spectateur lui-même ? La question reste ouverte. J’ignore tout lien entre Wilfrid et les souffleurs de verre de Lusace, et ne connais pas l’adage : « Pas de verre sans fougère ».

Wilfrid est-il berlinois ? Je n’ose l’infirmer totalement. Car d’où lui venait cette étrange habitude ? Il est vrai qu’il consommait sans vergogne d’inhabituels breuvages. En ingurgitant l’huile de lin et l’essence de térébenthine, ne réalisait-il pas l’union du soufre et du mercure ? Mais il se peut aussi que ses origines soient tout simplement germaniques, à en juger d’après son singulier prénom. Il est trop tard — ou trop tôt — pour en décider.

« Aujourd’hui je taille ses crayons (piqués dans l’armoire à l’insu de mon oncle) et les éclats de bois volant dans la pénombre comme des lucioles taraudent sa mémoire, prompte à s’évanouir à la moindre biffure qui ternit son aura, détruisant peu à peu ses indices, usant la pointe du crayon à chaque entaille, poussant Wilfrid du coude un peu plus dans l’oubli, sournois, en brisant ses empreintes qui palpitent entre mes doigts, ses crayons affûtés pour tracer son portrait qui s’étoffe à mesure qu’il détruit les traces de son passage. » (Tombeau pour un excentrique)

À l’image des crayons de Wilfrid subtilisés pour tracer son portrait, j’imaginais l’écriture susceptible d’accomplir le deuil en transformant poétiquement les traces de sa disparition. Répondant aux questions de Claude Riehl et Dominique Poncet, questionné sur ma faculté de faire disparaître Wilfrid, me voici tenu à une invention seconde du Tombeau. L’inachèvement du projet initial, dont je pensais avoir trouvé une parade avec ce Tombeau, se prolonge sous une forme nouvelle — renvoyant l’écriture à un impossible deuil.

Publié dans la Main de Singe, n°20, 1997.

 

Je propose une algèbre fulgurante. La foudre est un phénomène électrique qui suppose le passage instantané d’un courant entre deux termes dont il est la somme sinon le produit. Somme ou produit ? C’est en ces termes qu’Eisenstein résume, dans son article célèbre “ Hors-cadre ” consacré à l’idéogramme japonais, la querelle qui l’opposa à Poudovkine. Le montage ne doit pas se contenter d’enchaîner les plans à la manière de briquettes, écrit-il ; il doit les transformer grâce au procès d’un conflit dialectique. “ Je lui opposais mon point de vue : le montage en tant que collision. Le point d’impact où du choc des deux données surgit la pensée. (1) ” Ce propos naît sous la plume d’Eisenstein à l’évocation du principe de montage qu’il devine et analyse dans l’écriture japonaise. “ Car l’accouplement… disons plutôt la combinaison de deux hiéroglyphes du genre le plus simple ne doit pas être perçue comme leur somme, mais comme leur produit, c’est-à-dire comme une grandeur d’une autre dimension, d’un ordre différent ; si chacun d’eux, séparément, correspond à un objet, à un fait, leur réunion se transforme en un concept correspondant. (2) ” Ce jeu dialectique de collision entre les plans, Eisenstein le compare souvent au modèle explosif dont la foudre représente la métaphore ultime et paradoxale. Si elle obéit en effet à une tension première, créatrice d’énergie, sa déflagration est d’une telle violence qu’elle déjoue toute figuration. Comment filmer la foudre ? Celle-ci peut-elle offrir au cinéma un mode poétique d’actualisation des images ? Tel est le motif singulier qui inspire notre algèbre.

J’ai choisi pour poser mon équation, A + B, deux films qui offrent, chacun à leur manière, une possible figuration de la foudre. Eaux d’artifice de Kenneth Anger libère, grâce aux procédés mêmes du cinéma, une foudre d’artifice selon un jeu métaphorique de déplacement et de transport. Fire of Waters de Stan Brakhage, en exposant le film à la trace lumineuse de la foudre et à sa brûlure, inquiète le voile matériel du ruban de pellicule et, ce faisant, les données de notre perception. Je tenterai ensuite, A(nger) + B(rakhage), d’analyser ce que la somme de ces deux méthodes peut illustrer de manière plus générale sur la figuration au cinéma.


A
Eaux d’artifice, Kenneth Anger, 1953.

Tourné dans les jardins de la Villa d’Este à Tivoli, près de Rome, ce film accompagne la promenade nocturne d’un modèle à l’identité imprécise (Carmillo/Carmilla Salvatorelli selon Anger (3)), costumé d’une lourde robe blanche rococo, coiffé de longues plumes scintillantes à la clarté lunaire, au milieu des fontaines, des vasques et des rampes du jardin. Sa déambulation devient plus énigmatique comme l’eau ne cesse de sourdre et de jaillir de cascades en cascades. Allée des cent fontaines, masques rieurs, grottes baroques confèrent à sa course une allure mystérieuse, peu ou prou initiatique, renforcée par la teinte bleutée du film tourné en nuit américaine à en juger par les ombres noires sur les escaliers (4). La matière de l’eau, décomposée parfois par un discret ralenti, ne cesse d’offrir de constantes métamorphoses : une courte parabole de perles nacrées se transforme en masse molle et plastique comme une méduse dansante, des zébrures blanches strient l’écran à la manière de motifs abstraits. Les jeux d’eau du jardin apparaissent comme autant de jets incandescents qui trouent l’obscurité profonde de la nuit et évoquent, à s’y méprendre, les bouquets d’un feu d’artifice — ce que le jeu de mot du titre, Eaux d’artifice, écrit en lettres tremblantes sur l’écran, suggérait déjà, en écho au titre du premier film de Kenneth Anger, Fireworks.


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La foudre est le sujet d’un double jeu métaphorique : l’eau ressemble au feu, le feu d’artifice est une foudre. Le premier déplacement tient au traitement plastique de l’image et à sa photogénie singulière. L’éclat argenté de l’eau dans la pénombre lunaire, l’ondulation fluide des courbes, les formes serpentines produites par le ralenti créent peu à peu une incertitude sur la nature de la matière filmée. Quelle est la qualité physique désormais de ce bouquet d’eau fulgurante qui défie notre perception ? Rarement au cinéma l’eau aura été soumise à une transformation si paradoxale qu’elle finit par conjuguer deux éléments opposés à la manière d’un oxymore. S’agit-il de créer l’“ eau ignée ” des alchimistes ? L’enjeu figuratif du film correspond-il à l’opération alchimique dite le “ renversement des éléments ” ? On retrouve ici la tradition hermétique qui parcourt l’œuvre entier de Kenneth Anger. Notons que cette transmutation se déroule parmi les conques moussues, les mâchoires de monstres mythiques et les cornes de dieux marins d’un jardin renaissant, construit en 1550 par l’architecte Pirro Ligorio pour le cardinal Hippolyte II d’Este, théâtre d’allégories mythologiques autour du thème de la résurrection. Citons à cet égard la Fontaine de l’Ovato (l’Œuf) qui donne lieu à l’une des plus belles séquences du film. Eaux d’artifice n’illustre pas, certes, les allégories du jardin de manière littérale mais la Villa d’Este offre une aura symbolique qui favorise la transformation magique, sous nos yeux, de l’eau en feu (5).

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Le feu d’artifice obtenu est le produit d’un écart. Il est impur, il emporte avec lui sa métamorphose, il conserve la trace d’une conjonction des contraires. Un second déplacement s’opère : ce feu d’artifice agit comme une foudre. Celle-ci se caractérise par sa violence, son incandescence mais aussi par sa charge et sa décharge. Elle expose et dénude un principe de jouissance. En témoignent dans la langue le lieu commun du coup de foudre amoureux et la double signification du substantif décharge : déflagration et orgasme (6). La foudre, aux dires de témoignages plus ou moins fabuleux, déshabille ses victimes. Elle précipite le passage d’un élément à l’autre à la manière de l’œuvre alchimique. Or cette inversion est relative aux genres. Ce que suggère, bien sûr, la silhouette masculine/féminine, énigmatique, travestie, chatoyante, rococo, empennée de plumes blanches, qui descend les rampes et les escaliers et traverse ce double monde en inquiétant, ironiquement, ce théâtre des métamorphoses. Ne peut-on reconnaître dans cette figure le cinéaste lui-même, mage ou démiurge, lors d’une fête costumée, tel que Anaïs Nin a pu le décrire dans son journal en 1953, l’année même d’Eaux d’artifice : “ Il était habillé en Hécate, déesse de la lune, de la terre et des régions infernales, et de la sorcellerie. On ne voyait qu’un seul œil, très maquillé. Ses ongles noirs, très longs, étaient en plumes noires. Le reste était une imposante silhouette de dentelle, de voiles, de perles et de plumes. (7) ” ? La déesse travestie de dentelle et de plumes est l’agent souverain du film. Et la matière ambiguë, onduleuse et bleutée, eau d’artifice, que le montage propulse en un jeu continu d’incandescences répétées, ouvre à une jouissance sans fin qui n’est pas sans rappeler le montage eisensteinien de la séquence de la centrifugeuse de la Ligne générale. Dans cette séquence, après le jaillissement onctueux du lait sorti de l’écrémeuse, le cinéaste russe procède par bonds successifs en montant des images de fontaines éruptives et de feux d’artifice colorés. Dans le texte célèbre, “ La Centrifugeuse et le Graal ”, consacré à cette séquence, Eisenstein analyse les règles formelles du pathos. Le saut expressif s’opère grâce aux bonds qualitatifs des plans qui passent du figuratif au non-figuratif, du coloré à l’incolore, du positif au négatif, du dynamique au statique afin de provoquer le sursaut extatique du spectateur. Les plans ne s’additionnent pas (somme) mais se multiplient en s’ouvrant à chaque fois sur une dimension nouvelle (produit). “ Les processus seront conformes à la seule et même formule de l’ex-tase — la “ sortie hors de soi ”. Et cette formule n’est pas autre chose que le moment (l’instant) où s’accomplit la loi dialectique de la quantité en qualité. (8) ” Les lois formelles du pathétique supposent un jeu polarisé de contraires. Eisenstein donne l’exemple de l’heureuse nouvelle qui produit l’hébétude, inversant la logique de la raison psychologique.

Ce montage propulsif au gré d’une réaction en chaîne caractérise également la construction par paliers et bonds successifs du film de Kenneth Anger. Cinéma d’intensité qui, sur le modèle de la dépense improductive proposée par Bataille, ne cesse de brûler sa “ part maudite ”. La transformation de l’eau en feu ne suppose-t-elle pas un troisième terme ? La foudre en est la métaphore, certes, mais la décharge sexuelle en est l’envers. La chaîne métaphorique des éléments de la séquence d’Eisenstein (lait, eau, feu) ne peut-elle pas s’inverser ? Le montage d’Eaux d’artifice semble obéir en fait à la formule suivante : eau x feu = foutre. Formule qu’autorise l’ombre sulfureuse qui plane sur l’œuvre de Kenneth Anger. En cette même année 1953, le cinéaste entreprend une adaptation des Chants de Maldoror, restée inachevée, et, au printemps 1960, selon le journal d’Anaïs Nin, un film sur la vie du marquis de Sade.


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La foudre de ce film est le sujet d’une métaphorisation plastique et formelle. Foudre littéraire en un sens, extrêmement ralentie, en purs jaillissements chromatiques, dans un jardin peuplé d’orages électriques. Le cinéma d’Anger suppose un art magique de la transformation, proche des codes expressifs du cinéma muet (le film est accompagné de la musique d’Antonio Vivaldi), usant des trucages et des procédés (pellicule infrarouge, virage bleutée de la copie, nuit américaine, montage propulsif, ralenti…) ; il synthétise une postérité croisée, très singulière, de Méliès et d’Eisenstein. La foudre jaillissante et sans cesse renaissante est l’objet d’un calcul.

Eaux d’artifice = foudre x métaphore

Mais à quelle temporalité s’ouvre-t-elle ? Elle semble illustrer à dessein le thème de la résurrection qui ouvre le jardin de la Villa d’Este à un possible retour du temps.



B
Fire of Waters, Stan Brakhage, 1965.

Comment décrire ce film énigmatique ? Voilà un film qui, d’emblée, déjoue les règles de la description (9). L’image est sombre, obscure, le film est silencieux. À plusieurs reprises, l’écran est troué d’un bref éclair. Un photogramme blanc, violemment surexposé, est suivi parfois d’un second photogramme plus gris, estompé. On peut distinguer, dans la rémanence qui succède à l’image très blanche, une maison, des poteaux électriques, un ciel d’orage. Brakhage filme la foudre. Non pas métaphoriquement à la manière de Kenneth Anger, mais littéralement. Il recueille la trace de l’éclair qui brûle le rectangle de pellicule. Exposer un film à la foudre. Tel est le principe de Fire of Waters. Le moteur de la caméra continue de tourner mais c’est la Nature qui s’imprime directement sur le support. La pellicule est frappée par intermittences d’une foudre imprévisible. On pense aux Célestographies de Strindberg, plaques photographiques exposées directement sous le ciel, faisant fi de l’optique (10). En un sens, la foudre est le projecteur qui éclaire la caméra. Sans relever totalement de la tradition du “ film direct ” (puisque la caméra est encore présente), comme Brakhage lui-même a pu en faire l’expérience deux ans auparavant dans Mothlight où des fleurs et des ailes de papillons sont collées sur le ruban de pellicule, Fire of Waters inquiète et malmène le dispositif du cinéma. La foudre dénude le matériau, pour employer la terminologie des Formalistes russes. Brakhage est hanté par le projet d’un cinéma sans outil : “ […] comme tous les travaux que je réalise en ce moment, ils doivent être considérés comme des morceaux de celluloïd qui peuvent être tenus à la main, présentés face à la lumière, qui peut illuminer toutes leurs formes multicolores. (11) ”

Discret, impressionnant un seul photogramme qu’il surexpose violemment, l’éclair dévoile le support du film, il révèle sa réalité photogrammatique. “ Cette machine est en train de te broyer l’existence, ses orages électriques ne sont constitués que de photogrammes complètement blancs qui sont intercalés entre les images enregistrées ” écrit Brakhage à propos de l’expérience du spectateur de cinéma en général (12). La foudre, en se confondant avec le photogramme, divulgue la réalité structurelle ordinairement oubliée sinon refoulée par le spectateur, elle accomplit en ce sens une performance salutaire. Car ce dévoilement n’intéresse Stan Brakhage, faut-il le rappeler, qu’à la mesure d’une aventure perceptive dont le cinéma réalise la visée. L’idéal esthétique du cinéaste (inscrire l’intensité de la vision avant l’irruption du verbe, conserver et multiplier la vitesse acquise des perceptions) est fidèle à la leçon des poètes américains qui ont influencé son art : Ezra Pound et Charles Olson, notamment. Pour ces deux auteurs, la foudre constitue un paradigme poétique. La poésie est une foudre, c’est-à-dire un capteur et un transmetteur d’énergie. “ On pourrait en arriver à juger que ce qui compte en art, c’est une sorte d’énergie, quelque chose d’assez semblable à l’électricité ou à la radioactivité, une force qui transfuse, soude et unifie ” écrit Pound (13). De son côté, Olson écrit : “ Ainsi le poème lui-même est-il dans l’obligation d’être une construction d’une haute énergie, en tout point une décharge d’énergie. (14) ” En inscrivant la foudre à même le ruban de pellicule, Brakhage accomplit le vœu d’un art au plus près de la sensation, extrême, rapide, immédiat, nerveux, instantané, fulgurant ; ce faisant, et tout en dévoilant, par ce photogramme lumineux, blanc, surexposé, la réalité structurelle du film, il marque celui-ci au fer biblique du feu du ciel. Le film est brûlé désormais, consumé, irradié. La foudre est un œil qui nous regarde et nous éblouit à la manière du Buisson ardent (15).

Aussi rencontrons-nous ici une proposition filmique différente de celle de Kenneth Anger. La foudre, loin d’être l’objet d’un artifice produit par les puissances du cinéma (sa photogénie, son montage, son jeu métaphorique), est un feu qui exhibe et brûle sa propre trace. En un mot : une abstraction. Abstraction des opérations techniques (c’est la foudre elle-même qui expose le film), abstraction du plan réduit au seul photogramme blanc, abstraction de la vision (celle-ci se confond avec l’expérience de l’éblouissement). L’aventure perceptive est sidérante ; elle rejoint la tradition esthétique du sublime — d’où l’intensité d’attente et de surprise mêlées qui se dégage de ce film. Le cinéma n’offre plus la magie d’une foudre à volonté, il est un ruban de nuit que brûle par instants l’incandescence imprévisible du ciel.

Fire of Waters = foudre x abstraction

Et lorsque nous découvrons à la fin du film, dans le petit jour qui succède à l’orage, la maison blanche, les pylônes électriques et les voitures aperçus auparavant dans la seule rémanence des éclairs, pleure la plainte aiguë d’un chien ébloui ou peureux.


A + B

J’ai choisi ces deux films à des fins algébriques. La foudre d’Eaux d’artifice est l’objet d’un déplacement de nature métaphorique qu’actualisent les puissances magiques du cinéma ; celle de Fire of Waters est une brûlure abstraite : elle éclaire et éblouit tout à la fois. Si le film d'Anger joue des qualités plastiques et syntaxiques du médium, considérant le sujet du film comme un produit au sens algébrique, Fire of Waters privilégie l’ontologie photographique du cinéma. Toutefois l’empreinte lumineuse de la foudre sur le ruban de pellicule, en révélant le caractère discret du photogramme et en provoquant notre éblouissement, brise la continuité mimétique attachée à la notion de reproduction et provoque un effet de dissemblance. Par ses vertus poétiques et théoriques, la foudre inquiète la figuration au sein même de chacun de ces deux films, par excès ou par défaut. La vertu de déflagration de l’éclair est leur facteur commun. Notons d’ailleurs l’hommage de Brakhage au cinéma de Kenneth Anger dans le choix du titre : Fire of Waters offre un raccourci des titres Fireworks et Eaux d’artifice (16). La foudre, par sa violence incandescente, dénude le dispositif du cinéma en instituant une puissance de transgression. La caméra se transforme en chambre à foudre. “ Mon goût pour le bruit de mitraillette que produit la caméra en marche (ce son que la plupart des réalisateurs détestent parce qu’il gêne le son direct)… le nom que j’ai donné à notre projecteur : “ Tonnerre ” […], et celui de l’écran, “ Éclair ”, tout cela va si bien avec ma vision d’une séance filmique au cours de laquelle un projecteur mitraille des images sur l’écran pour tuer “ l’ennemi ” qui se présente. (17) ”

Factorisons la somme de ces deux films.

A + B = foudre x (métaphore + abstraction)

Le produit de l’intensité fulgurante par la résistance des opérations conjointes de métaphorisation et d’abstraction définit la tension exercée par ces deux films, leur différence de potentiel. La somme A + B délimite un champ électrique du cinéma. J’ai choisi volontairement deux cinéastes emblématiques du cinéma expérimental. Ne peut-on alors considérer celui-ci, à travers ces deux exemples, comme une foudre qui brûle et soude les catégories du cinéma traditionnel en dénudant les fils, qu’ils soient d’ordre sexuel ou perceptif, de toute figuration ? Objet curieux que cette foudre. Extase ou éblouissement : une foudre sillonne le cinéma en traçant sur l’écran les signes algébriques d’un orage électrique dont nous sommes les spectateurs renversés.


Érik Bullot

Publié dans Cinergon, n°10, « Météorologie ».

 

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1. S. M. Eisenstein, “ Hors cadre ”, trad. L. et J. Schnitzer, in Cahiers du Cinéma, n° 215, sept. 69, p. 25.
2. Ibid., p. 21.
3. Cf. Bill Landis, Anger. The Unauthorized Biography, New York, Harper Collins, 1995, p. 63.
4. Tourné sur pellicule infra-rouge selon Bill Landis.
5. Cf. Emanuela Kretzulesco-Quaranta, les Jardins du songe. Poliphile et la mystique de la Renaissance, Paris, Les Belles-Lettres, 1986, p. 299-312 ; Gérard Desnoyers, la Villa d'Este à Tivoli ou le Songe d'Hippolyte, Paris, Myrobolan, 2002.
6. Cf. Arnau Pons, “ La décharge ”, Antigone, n° 19, “ De la foudre ”, 1994, p. 32-41.
7. Anaïs Nin, Journal 1947-55, trad. M. C. Van der Elst, Paris, Livre de Poche, 1978.
8. S. M. Eisenstein, la Non-indifférente nature I, trad. L. et J. Schnitzer, Paris, UGE 10/18, 1978, p. 423.
9. Je tiens à remercier Jean-Michel Bouhours, responsable de la collection du Cinéma du Musée au Centre Georges Pompidou, qui m’a donné l’occasion de visionner, sur table de montage, les deux films qui font l’objet de cet article.
10. Cf. Clément Chéroux, l’Expérience photographique d’August Strindberg, Arles, Actes Sud, 1994.
11. Stan Brakhage, Métaphores et vision, trad. P. Camus, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 1998, p. 45.
12. Ibid., p. 24.
13. Ezra Pound, Au cœur du travail poétique, trad. F. Sauzey, Paris, L’Herne, 1980, p. 55.
14. Charles Olson, “ Le vers projectif ”, 1950, trad. M. Pleynet, in Tel Quel n° 19, 1964, p. 4.
15. Cf. “ Qui voit Dieu meurt ”, P. Adams Sitney, trad. C. Wasjbrot, Trafic n° 17, 1996, p. 120-142.
16. Fire of Waters s’inspire en fait d’une lettre du poète Robert Kelly : “ The truth of the matter is this : that man lives in a fire of waters and will live eternally in the first taste. ”
17. S. Brakhage, Métaphores et vision, op. cit., p. 111.

 

 

 



Dans One Week (1920), Buster Keaton et sa jeune épouse reçoivent en cadeau de mariage les éléments de construction d’une maison à agencer soi-même. Un rival déçu modifie la numérotation des caisses (le 1 est devenu un 4 et le 3 un 8 grâce à un trait de peinture noire supplémentaire) et bouleverse ainsi le plan de montage du bâtiment. La permutation de la numérotation suffit à rompre la logique première de l’architecture au profit d’une inversion généralisée des directions de l’espace. Maison de guingois, porte d’entrée au premier étage, sol élastique, balustrade transformée en échelle, porte donnant sur le vide : l’espace subit une crise réelle d’orientation. La paroi de la façade, au faîte de laquelle Keaton se tient tandis que son épouse est assise dans l’encadrement de la fenêtre du rez-de-chaussée, en pivotant sur son axe, inverse le haut et le bas et les positions respectives des époux dans le cadre. Le plan devient pivot, l’espace est réversible. Le haut et le bas, le proche et le lointain, la face et le dos forment des couples aux polarités contrariées. Dès que Keaton tourne le dos à sa maison, celle-ci pivote sur elle-même à la manière d’un carrousel : la fenêtre occupe désormais la place de la porte. Cette ivresse spatiale, logique et inattendue, est source de rire et d’émerveillement.


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Je suis familier depuis de nombreuses années des films de Buster Keaton. L’émotion ressentie à la vision de ses films est aujourd’hui de nature très diverse ; elle caractérise moins un état particulier que le passage incessant entre trois niveaux d’émotion : le rire proprement dit, lié au gag et à sa surprise, de nature souvent catastrophique ; l’émerveillement devant la beauté visuelle ou plastique des trouvailles du cinéaste ; le plaisir intellectuel lié à la vérification logique des différentes hypothèses interprétatives. L’émotion n’est pas une mais plusieurs, elle est complexe voire hybride, elle participe du jeu entre le rire, l’émerveillement et l’intelligence. Je retrouverai cette qualité d’émotion keatonienne dans de nombreuses œuvres du cinéma expérimental. Je pense au film de Michael Snow To Lavoisier, Who Died in the Reign of Terror (1991) ou au film de Fischli/Weiss, Der Lauf der Dinge (1987), qui expose la causalité inéluctable du rebut, entre rire et angoisse, en une sorte de commentaire critique sur les puissances déterministes du suspense. Sans doute d’autres registres sont-il susceptibles d’être proposés selon les œuvres envisagées. Il n’en demeure pas moins que l’émotion qualifie un jeu, un croisement, un passage entre différents termes — ce que Serge Daney nommait le “ moment de basculement d’un registre à un autre ”, de la sensation à l’idée, de la sensation au sentiment, du sentiment à l’idée, de l’idée à la sensation, de l’idée au sentiment (1). La vision des films de Keaton ne produit d’ailleurs plus vraiment chez moi le rire, ou très rarement, mais une jubilation d’ordre géométrique qui naît à l’intellection sans cesse renouvelée de la cohérence logique du monde keatonien. Le ravissement ne provient plus de la surprise mais de la confirmation d’intuitions préalables basées sur la symétrie de l’espace, le jeu du miroir, le message tronqué, la mauvaise latéralisation du héros. Et si j’ai ouvert ces notes sur l’émotion avec One Week, c’est parce que ce film de Buster Keaton, inventif et rigoureux, développe un jeu savant de basculements dans l’espace et le temps qui dévie grâce à la permutation de la numérotation la logique causale (l’inversion numérologique entraîne, à la manière d’une roue, une inversion spatiale) et alimente avec brio le jeu entre ces différents niveaux d’émotion.

Il semble que le personnage de Keaton soit affecté d’une mauvaise latéralisation. Non seulement il confond la gauche et la droite, le haut et le bas mais l’événement se déroule généralement à son insu, dans son dos. Il a beau multiplier les volte-face : les directions de l’espace sont le plus souvent inversées, non pas de manière strictement symétrique d’ailleurs, mais à l’image du miroir qui inverse l’espace tout en conservant les positions respectives de la gauche et de la droite. One Week offre maints exemples de cette inversion spéculaire (la balustrade-échelle dont les barreaux cèdent un à un, la façade qui pivote sur son axe, le plancher qui ploie sous la charge du piano accroché au lustre), que l’on retrouve également dans la forme des longs métrages de Keaton construits sur un aller-retour, une distance à parcourir dans un sens et dans l’autre, de gauche à droite et de droite à gauche, procédé qui n’est pas sans évoquer l’écriture grecque archaïque boustrophédon. Cette relation retorse à l’espace, cette sorte de dyslexie motrice que tempère un don d’acrobate, en déjouant l’attente, en contrariant la pesanteur, est source de nombreux gags et d’émerveillements. La chaîne causale est déviée de sa finalité par une simple inversion des données de l’espace : l’évier encastré par erreur, semble-t-il, dans la façade extérieure se retrouve en fait à sa place dès la rotation de la planche ; le fragment de tapis découpé pour récupérer la veste est utilisé peu après comme paillasson. Ce n’est pas seulement le caractère inventif de Keaton qui nous frappe ; c’est la logique seconde qui l’anime, procédant à rebours, anticipant l’inversion. Il agit, par avance, comme si les choses allaient se retourner (sur elles-mêmes, contre lui). Les constructions hasardeuses ou aberrantes qu’il échafaude ne trouvent leur accomplissement que dans le temps qui les met en branle et dévoile leur envers. La planche anodine posée de guingois sur une palissade se révèle à l’usage catapulte. Keaton précipite ainsi l’espace dans le temps ; il anticipe le renversement des situations et parvient à concilier, par une sorte de court-circuit temporel, son défaut (cette appréhension rétive de l’espace) et son don (doter les éléments d’une face spéculaire). Mais cette inversion de la cause et de l’effet, ce sentiment contrarié, retors, de la causalité, ce chassé-croisé de l’espace et du temps ne caractérisent-ils pas précisément le jeu de l’émotion ? N’est-ce pas le spectacle soudain hasardeux de la chute d’un corps, la trajectoire improbable d’un projectile qui produisent en nous, à la manière d’un miracle, l’émotion ?


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L'Homme à la caméra, Dziga Vertov


En dénouant la causalité, en inversant les relations logiques, Keaton confère au temps et à l’espace le don de réversibilité. L’émotion est-elle liée à l’inversion temporelle ? La réflexion sur la relation entre l’ordre du récit et ses effets rhétoriques n’est pas nouvelle. Je propose un détour par la “ querelle de l’inversion ”, apparue au milieu du XVIIème siècle (2). Faut-il respecter l’ordre prétendument naturel (l’ordre sujet-prédicat utilisé par la phrase française selon lequel la substance précède l’accident, le sujet doit venir avant le verbe et le verbe avant le complément) ou procéder à la manière latine marquée par le début in medias res et le retour en arrière ? Si la phrase française semble obéir à un principe logique, disent les commentateurs, la phrase latine réunit un double avantage : une plus grande liberté de construction et un surcroît d’expressivité. Cette querelle qui assimile la phrase à un récit n’est pas sans relation avec le montage cinématographique mais également avec l’inversion généralisée du monde keatonien. Keaton procède à la manière latine. Il nous montre l’évier encastré dans la façade extérieure et ce n’est que l’action du verbe tourner qui rétablit l’ordre naturel, d’où notre émerveillement à cette volte-face et notre doute sur les puissances de l’image. Annette Michelson a relevé, à des mêmes fins critiques, l’usage fréquent dans l’Homme à la caméra de Dziga Vertov de la figure rhétorique usteron proteron qui permet de placer en tête ce qui doit venir en fin (3). Mais c’est Diderot qui retiendra ici notre attention. Il évoque longuement la querelle de l’inversion dans sa Lettre sur les sourds et muets. Le discours inverse-t-il l’ordre de la pensée ? “ Ce n’est pas une chose aussi aisée qu’on le pense de dire quel est l’ordre naturel des parties du discours, c’est-à-dire quel est l’arrangement le plus raisonnable qu’elles puissent avoir. Le discours est une image de ce qui est présent à l’esprit, qui est vif. Tout d’un coup il envisage plusieurs choses, dont il serait par conséquent difficile de déterminer la place, le rang que chacun tient, puisqu’il les embrasse toutes et les voit d’un seul regard. ” (4) Diderot cherchera sa réponse dans l’observation d’un muet de convention dont le langage gestuel lui semble présenter la meilleure traduction de l’ordre originel de la pensée. Il s’agit moins d’ailleurs pour lui d’opter entre la manière française ou latine que de référer l’ordre logique et successif du discours à l’ordre simultané des sensations. “ L’âme éprouve une foule de perceptions, sinon à la fois, du moins avec une rapidité si tumultueuse qu’il n’est guère possible d’en découvrir la loi. ” (5) De ce point de vue, seule la poésie est capable de trouver un équivalent au tohu-bohu de la sensation, ce qu’il nomme le hiéroglyphe. La poésie ne rend pas successives les idées à la manière du discours ; elle permet d’offrir une gerbe d’impressions simultanées. Le propre du hiéroglyphe (“ dire et représenter en même temps ”) est de rétablir dans le poème le caractère simultané de la sensation afin d’accroître l’émotion. “ […] le discours n’est plus seulement un enchaînement de termes énergiques qui exposent la pensée avec force et noblesse, mais un tissu d’hiéroglyphes entassés les uns sur les autres qui la peignent. ” (6) La poésie a pour fonction d’offrir une image simultanée des perceptions.

Cette analyse de Diderot nous intéresse à double titre. La querelle de l’inversion implique pour lui, d’une part, la place du geste dans l’expression. Or le cinéma de Keaton se construit entièrement sur un jeu entre le geste et le langage, voire la lettre. On communique beaucoup chez Keaton par missives, billets, pancartes, lettres, chiffres. Le récit tient en général à la difficulté de communiquer, comme si les personnages keatoniens étaient empêchés d’expression verbale à la manière du muet de convention de Diderot. Keaton explore les mérites comparés de la communication (il suffit de citer les demandes en mariage successives de Seven Chances multipliant les jeux de pantomime à travers la paroi d’une cabine téléphonique, les billets doux déchirés en morceaux, les équivoques dues à des lettres tronquées ou la scène de Steamboat Bill Jr. durant laquelle le fils, sous le regard méfiant du gardien de prison, décrit à son père par un langage de signes mimétiques le contenu caché de la brioche qu’il tente de lui offrir). D’autre part, le geste ne présente pas la même successivité que le discours, il propose des compositions inversées et dramatiques, il présentifie, il autorise la simultanéité. Ce conflit entre simultanéité et successivité est au cœur du cinéma de Keaton. En permutant la numérotation des caisses et en bouleversant les repères de l’espace, Keaton n’opère-t-il pas un chassé-croisé de l’espace et du temps qui finit par confondre le successif (la numérotation) et le simultané (la construction) ? Il applique au temps les qualités de l’espace ; l’émotion naît de ce court-circuit : la spatialisation du temps.


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Il est curieux de retrouver ces deux traits — primauté du geste, simultanéité de la perception — dans la définition de l’idéogramme, version moderne du hiéroglyphe de Diderot, proposée par Ezra Pound. Suite à la découverte pendant la Première Guerre mondiale des travaux d’Ernest Fenollosa, l’idéogramme devient pour Pound un modèle poétique qui offre la possibilité de juxtaposer des faits concrets, par mimétisme schématique, en vue d’obtenir une expression vive selon un processus proche de la perception naturelle. Nous n’insisterons pas sur le caractère mythique et peu scientifique d’une telle conception. L’idéogramme est une chimère, il présente une image des faits saisie sur le vif et restitue la succession naturelle de la perception. “ Le mensonge de la peinture et de la photographie réside dans le fait qu’en dépit de leur matérialité, elles manquent l’élément de succession naturel. (7) ” L’exemple proposé par Ezra Pound en vue d’opposer le caractère successif du discours à la simultanéité de l’idéogramme est, là encore, éminemment cinématographique. “ Imaginez que nous regardions par la fenêtre : nous voyons un homme, soudain, il tourne la tête, nous l’imitons et voyons le cheval qui avait attiré son regard. Nous avons vu l’homme avant qu’il n’agisse, pendant qu’il agissait, enfin l’objet de son action. (8) ” La continuité de cette action que fractionne le discours sera rendue par l’idéogramme qui, au contraire de la phrase, juxtapose les éléments de manière visuelle, dramatique et dynamique, qui opère, en un sens, un montage. “ Lire le chinois, ce n’est pas jongler avec des concepts, mais observer les choses accomplir leur destin. (9) ” Le cinéma semble offrir les mêmes qualités de simultanéité perceptive que l’idéogramme, il rend coprésents des temps distincts. Ce n’est pas le lieu ici de discuter de la pertinence ou non du caractère idéogrammatique du cinéma. Nous retiendrons la condensation temporelle à laquelle atteint l’image : je vois l’homme, il voit le cheval, je verrai ce qu’il a vu. Grâce à la coprésence des trois temps (passé, présent, futur), l’image permet le basculement d’un temps à l’autre. L’émotion définit ce mouvement temporel à l’intérieur du temps lui-même. Tel est sans doute le paradoxe de l’inversion temporelle chez Keaton. En inversant la logique causale, il ne se contente pas de nous montrer l’effet avant sa cause ; il dévoile l’action passée, présente, future, simultanément. En jouant du geste et de la lettre en même temps, il nous fait glisser du dramatique au spéculatif, il autorise le saut de l’émotion. L’émotion n’est pas le résultat d’un accident ou d’un miracle, elle est l’effet concerté d’un calcul de la mise en scène, elle est un procédé.

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Le modèle de l’idéogramme semble informer l’art de Buster Keaton. Mais s’orienter dans l’espace, ne pas confondre la gauche et la droite, construire un échafaudage ne sont pas sans lien avec l’écriture. Keaton sait-il écrire ? One Week offre une réponse paradoxale à cette question. Pour récupérer sa veste oubliée par mégarde, Keaton doit pratiquer un trou dans le tapis du salon. Cette découpe ne sera pas perdue. Il trace sur le fragment de tapis, de droite à gauche, des lettres à la peinture blanche. L’écriture est difficilement lisible. C’est alors qu’il fait pivoter le tapis d’un demi-cercle dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Apparaît, de manière inattendue, le mot WELCOME. Il a écrit de droite à gauche en traçant des lettres inversées de bas en haut ; il a prévu la double inversion (gauche-droite, bas-haut). Écrire et s’orienter sont susceptibles d’un même principe d’inversion. Le film a pour tâche de mettre l’écriture à l’endroit. Ce plan merveilleux — qui semble souhaiter la bienvenue au spectateur ahuri — laisse toutefois sourdre un secret. Une lettre est-elle cachée voire cryptée dans le tapis ? L’émotion, assurément, est un chiffre.



Érik Bullot

publié in Cinergon, n°13, « L’émotion », 2002.

 

1. Serge Daney, L’Exercice a été profitable, Monsieur, POL, Paris, 1993, p. 96.
2. Cf. Gérard Genette, “ Blanc bonnet versus bonnet blanc ” in Mimologiques, Paris, Seuil, 1976, p. 183-226.
3. Annette Michelson, “ L’Homme à la caméra. De la magie à l’épistémologie ” in Cinéma : théorie, lectures, D. Noguez (dir.), Paris, Klincksieck, 1978, p. 295-310.
4. Lamy, Rhétorique [1701], cité in Mimologiques, op. cit., p. 196.
5. Diderot, Lettre sur les sourds et muets, in Œuvres IV, Esthétique, Théâtre, Paris, Robert Laffont, 1996, p. 28.
6. Ibid., p. 34.
7. Le caractère écrit chinois matériau poétique, Ernest Fenollosa et Ezra Pound, trad. G. Sartoris, Paris, L’Herne, 1972, p. 15.
8. Ibid., p. 13-14.
9. Ibid., p. 15.
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