Relations d'objets

Relations dobjets

 

COMMENTAIRE

En 1978, le cinéaste Raúl Ruiz publie dans les Cahiers du cinéma un article théorique, volontiers spéculatif, sur “Les relations d’objets au cinéma”. “Quelle est l’histoire secrète que nous racontent les objets dans un film ?”, s’interroge-t-il.

Le sujet lui est familier. On ne peut qu’être frappé en effet par l’étrange tension qui s’exerce dans ses films entre l’énigme des objets et leur fonction narrative.

Un fume-cigarette, une cafetière, un glaçon, une sphère blanche… L’attention du spectateur est rapidement détournée du dialogue pour observer la présence insolite des objets qui semblent mener entre eux une conversation.

Si les objets répondent parfois aux caprices de l’intrigue, ils tendent le plus souvent à exister pour eux-mêmes et se métamorphosent de façon continue dans un monde régi par l’art de la combinatoire.

En se combinant, en se transformant, les objets forment des listes qui peuvent être lues en différents sens, latéralement et verticalement, de haut en bas comme de gauche à droite, ou inversement.

Ruiz a souvent insisté sur la relation au cinéma entre le récit et le tableau. Le récit se déploie de proche en proche sur une ligne horizontale tandis que le tableau suspend le fil du temps par un arrêt sur image. Si l’on se perd parfois dans les histoires de ses films, on est arrêté par la force visuelle des images comme autant d’illuminations. Et c’est la circulation des objets qui éclaire la relation entre le tableau et le récit.

On ne peut nier l’existence d’une tension, due au fait que certaines figures luttent difficilement pour émerger de la toile de fond.

Le visage forme parfois un paysage, et le décor un avant-plan. Il suffit d’un simple mouvement de caméra ou d’un jeu d’optique pour révéler les relations latentes entre la figure et le fond.

Comment se manifeste l’objet dans un monde mobile ? Des statuettes ou des soldats de plomb s’interposent entre la scène et le spectateur. L’objet établit une distance, crée un théâtre, tragique ou ironique.

Les objets tendent à émerger comme un paysage. Ils entrent et sortent du cadre, émergent l’un après l’autre, se manifestent avant de disparaître, ne cessant d’apparaître et de se cacher à nouveau. Ils forment un archipel parallèle au récit à la façon d’un commentaire énigmatique qui révèle les puissances magiques de l’univers.

Les objets peuvent aussi être transparents ou translucides. Ils sont comme l’œil de verre ou le filtre coloré de la caméra.

Dans ce monde de cristal, l’univers est contenu dans une goutte d’eau. L’objet réfracte la totalité du monde, doué d’un regard ou d’une conscience.

Parfois, les objets sont disséminés dans l’espace à la façon d’un cosmos. Le microcosme et le macrocosme communiquent. Le décor devient un théâtre où les éléments de la vie quotidienne, soudain sacralisés, forment des constellations.

Le personnage et l’objet ne cessent d’échanger leurs rôles. La vie passe comme un fluide entre les vivants et les morts.

Les objets sont-ils doués d’une vie autonome ? Difficile ne pas penser devant ces décors baroques et ces palais de la mémoire, ces tableaux vivants et ces labyrinthes, à des installations plastiques comme si le décor du film était déjà la scène d’un théâtre ou d’un musée, comme si le film tendait lui-même vers une forme d’installation, à la fois statique et mobile.

Regarder un film, c’est observer la vie secrète des objets. Même si la caméra n’était pas là pour donner son point de vue, les objets se raconteraient leurs histoires.

COMENTARIO

En 1978, el cineasta Raúl Ruiz publica en los Cahiers du cinéma un artículo teórico, bastante especulativo, sobre “Las relaciones de los objetos en el cine”. “Qué historia secreta nos cuentan los objetos de una película?”, se pregunta.

El tema le es familiar. De hecho, la extraña tensión que se ejerce en sus películas entre el enigma de los objetos y su función narrativa no deja de sorprender.

Una boquilla, una cafetera, un hielo, una esfera blanca… La atención del espectador es rápidamente desviada del diálogo para observar la presencia insólita de los objetos que parecen mantener entre ellos una conversación.

Si bien los objetos responden a veces a los caprichos de la intriga, tienden por lo general a existir por sí mismos y se metamorfosean de manera continua, en un mundo regido por el arte combinatorio.

Al combinarse, al transformarse, los objetos forman listas que pueden ser leídas en distintos sentidos, lateral y verticalmente, de arriba abajo, de izquierda a derecha, o al revés.

Ruiz solía insistir sobre la relación del relato y el cuadro en el cine. El relato se despliega gradualmente a través de una línea horizontal, mientras que el cuadro suspende el hilo del tiempo mediante congelando la imagen. Si uno se pierde a veces en las historias de sus películas, es porque la fuerza visual de las imágenes nos detiene, a la manera de una iluminación. Y es la circulación de los objetos la que esclarece la relación entre el cuadro y el relato.

No se puede negar la existencia de una tensión, debida al hecho de que ciertas figuras luchan con dificultad por emerger del trasfondo.

El rostro es a veces paisaje y el decorado primer plano. Basta un simple movimiento de la cámara o un juego óptico para revelar las relaciones latentes entre la figura y el fondo.

Cómo se manifiesta el objeto en un mundo móvil? Entre la escena y el espectador se interponen estatuillas o soldaditos de plomo. El objeto establece una distancia, crea un teatro, trágico o irónico.

Los objetos tienden a emerger como un paisaje. Entran y salen del cuadro, surgen uno tras otro, se manifiestan antes de desaparecer y no dejan de aparecer y esconderse de nuevo. Forman un archipiélago paralelo al relato, cual enigmático comentario que revela las potencias mágicas del universo.

Los objetos pueden también ser transparentes o translúcidos. Son como el ojo de vidrio o el filtro coloreado de la cámara.

En este mundo de cristal, el universo está contenido dentro de una gota de agua. El objeto refracta la totalidad del mundo, dotado como está de una mirada o una consciencia.

A veces, los objetos están diseminados en el espacio a la manera de un cosmos. El microcosmos y el macrocosmos están comunicados. El decorado se convierte en un teatro donde los elementos de la vida cotidiana, a menudo sacralizados, forman constelaciones.

El personaje y el objeto intercambian continuamente sus roles. La vida transcurre como un fluido entre los vivos y los muertos.

Los objetos están dotados de vida autónoma? Resulta difícil no pensar ante estos decorado barrocos y estos palacios de la memoria, estos tableaux vivants y estos laberintos, en instalaciones plásticas, como si la escenografía de la película fuese ya la el escenario de un teatro o museo, como si la película misma tendiese hacia una forma de instalación, a la vez estática y móvil.

Ver una película es observar la vida secreta de los objetos. Incluso si la cámara no estuviese ahí para dar su punto de vista, los objetos se contarían sus historias.