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Langue des oiseaux

Langue des oiseaux

Depuis le futur, une voix nous raconte comment des hommes s’efforcèrent jadis de décrire, transcrire, puis imiter le chant des oiseaux, dans l’espoir peut-être de pouvoir communiquer avec eux. L’espèce humaine s’est souvent délectée de cette musique de la nature et, dans un geste mêlant insensiblement admiration et appropriation, a tenté de l’adapter aux paramètres de son monde. Deux hommes aux traits similaires enquêtent sur l’histoire de ces entreprises, rassemblant des documents, interrogeant des musiciens, glanant des démonstrations. Des partitions, certaines anciennes, d’autres originales, ont voulu mimer ces airs acrobatiques issus d’organismes aux capacités surhumaines. Des voix hors-pair parviennent à produire de sublimes figures, à effleurer des tons à la texture ou à la hauteur bestiale, mais la ressemblance entre les deux limiers reste toujours plus évidente que la parenté de ces performances avec les chants souples de nos amis ailés. Même lorsque le musicologue Peter Szöke les enregistre et les ralentit, leur mystère demeure entier. Malgré le sérieux qui les guide, ces tentatives désespérées ne peuvent se défaire d’une part d’absurdité, qui apporte à l’ensemble une touche de comédie – l’humour noir était présent d’emblée, la narratrice évoquant la sixième extinction comme un fait accompli. Au terme de ce parcours, il s’avère que le chant des oiseaux reste inimitable, et l’humain est amicalement renvoyé à la vanité de sa volonté de puissance, force génératrice de tant d’œuvres d’art et néanmoins mère de toutes les destructions.

Olivia Cooper-Hadjian
Catalogue Festival Cinéma du réel, 2022

 

COMMENTAIRE

Je vous raconterai une histoire d’avant. C’était avant. Avant la sixième extinction, avant la disparition des animaux.

En ce temps-là, alors que les oiseaux s’effaçaient lentement de nos champs, au temps où les forêts commençaient à brûler, certains avaient fait le choix d’écouter et d’apprendre le chant de la mésange.

Réunis en sociétés savantes, parfois secrètes, ils tentaient de déchiffrer la langue des oiseaux pour conclure de nouvelles alliances.

Ils tendaient une main à l’inconnu. Il était sans doute déjà trop tard. « Mais sait-on jamais… ? », pensaient-ils. “Retenons l’oiseau”.

Je vous raconterai l’histoire merveilleuse du cercle des traducteurs d’oiseaux.

Les méthodes des traducteurs d’oiseaux étaient strictes. Ils notaient les voix de l’oiseau sur de grands carnets. Certains transcrivaient leurs chants sur des portées musicales, à tâtons, du bout des doigts ; d’autres interprétaient en musiciens ces mêmes chiffres pour trouver la clé.

Le chant de l’oiseau ne cessait de passer d’un support à l’autre. Ténu, fragile, dans l’obscurité ou la naissance du jour, il empruntait le chemin d’une portée musicale avant de renaître sous les doigts du musicien.

Certains inventaient des écritures à l’aide de hiéroglyphes curieux. Ils faisaient feu de tout bois. « La gamme n’est pas assez complexe pour noter le chant des oiseaux », disaient-ils. « Il faut inventer de nouveaux solfèges. »

D’autres encore franchissaient le mur du son en testant les limites de la voix humaine. « Comment briser le carcan de sa propre voix ? », pensaient-ils. « Comment toucher l’autre par la pointe d’une vocalise ou d’un cri ? »

Certains, aux siècles anciens, avaient écrit pour plusieurs voix des chants inspirés du cri des oiseaux.

Nous sommes séparés des oiseaux par la vitesse du temps. « Toute chose possède », disaient les traducteurs d’oiseaux, « en variant son allure, une voix vivante. On peut entendre les pierres et les arbres parler leur vrai langage, la montagne crier son avalanche, la rouille ronger le fer, les ruines se plaindre de leur décrépitude. Traduire n’est qu’une question d’échelle ».

Les traducteurs d’oiseaux observaient dans le ciel les prédictions et les augures. L’oiseau était devenu le messager des Dieux.

Ils écoutaient le chant des planètes. « La terre », disaient-ils, « il se pourrait bien après tout que ce soit une espèce de petit appareil enregistreur, placé là par on ne sait qui, pour capter tous les bruits qui circulent mystérieusement dans l’univers. »

Certains appelaient langue des oiseaux la « cabale phonétique ». C’était la parole secrète des alchimistes.

L’oiseau crie ou chante. Comme il s’élève et se joue dans l’espace et a le pouvoir de choisir ses chemins, de tracer entre deux points une infinité de courbes, il vole où il veut, sa voix est plus libre de ce qui le touche. Les traducteurs d’oiseaux suivaient du regard les lignes de son chant, comme les lignes de la main, et découpaient chaque mélodie pour en faire un rébus.

Certains se refusaient à traduire et apprenaient tous les idiomes. Parler la langue des oiseaux ne signifie-t-il pas parler toutes les langues ? Ils écoutaient le chant de l’oiseau sous les cris confus des babils de la planète.

D’autres se plaisaient à jouer en forêt pour parler aux rossignols. On dépêchait la radio pour fixer les vertiges, et les auditeurs acquiesçaient au miracle de l’échange.

Ce fut bien plus tard qu’on découvrît la présence d’habiles siffleuses, dissimulées dans la forêt, qui imitaient le chant du rossignol, tant le rêve était enivrant.

Certains avaient fait vœu de ne plus se nourrir de chair animale. Il était déjà trop tard, sans doute. C’était un temps, avant la sixième extinction.

Les cercles de traducteurs d’oiseaux tentaient de retenir le temps, avant la catastrophe, avant le cauchemar, ce rêve impuissant à rompre l’enchantement, cette image enterrée vive.

« Qui témoignera pour l’oiseau ? », disaient-ils.

Désormais, ces quelques signes, ces chants, ces clameurs, ces gestes maladroits et naïfs, ne sont que les vestiges d’un âge révolu. Pourrons-nous oublier les brasiers et les incendies qui ont succédé ? Faites que l’après soit un mauvais rêve.

Langue des oiseaux
vidéo numérique HD - 55 min - 2021
 
Sous la forme d'une enquête musicale, ironique et grave, ponctuée d'aperçus scientifiques et d'observations ornithologiques, Langue des oiseaux explore les puissances de la traduction et notre désir de communication entre espèces.
 
Avec Elena Andreyev, Thierry Aubin, Éric Bellocq, Annick Bompays, Marieke Bouche, Loïk Butler, Alain Callet, Arnaud Deshayes, Maxime Echardour, Ferenc Gróf, Baptiste Jopeck, Constantin Jopeck, Violaine Lochu, Donatienne Michel-Dansac, Enikő Sombrin-Sasvári, Marion Tassou.
 
Narratrice : Florence Delay.
Image : Éva Sehet.
Son : Térence Meunier.
Montage : Agnès Bruckert.
Étalonnage : Julia Mingo
Mixage : Mikaël Barre.
Scénario, réalisation : Érik Bullot.
Conseiller artistique : Arnaud Deshayes.
Assistant réalisation : Dorian Degoutte.
 
Musiques originales Cueurs endormis, Arnaud Deshayes, 2021 Variation polyglotte, Abril Padilla, 2021 Hommage à Friedrich Jürgenson, Abril Padilla, 2021
 
Musiques interprétées Transcription du chant du merle noir, Gérard de la Bassetière, 1913, Hautbois, Arnaud Deshayes Transcription du troglodyte des forêts, Aretas Andrews Saunders, 1935, Chant, Donatienne Michel-Dansac Transposition du Chant des oiseaux de Clément Janequin par Gerhart Münch, 1933, Violon, Marieke Bouche Arrangement du Chant des oiseaux de Clément Janequin par Éric Bellocq, 2020, Luth, Éric Bellocq Chanson que me chantait ma mère, Antonín Dvořák, 1905, Violoncelle, Elena Andreyev
 
Textes : Jean-Pierre Brisset, Len Howard, Vicente Huidobro, Velimir Khlebnikov, Charles Nodier, Dezső Tandori
 
Production : Baldanders films. Elsa Minisini, Elisabeth Pawlowski, Mathias Bourrissoux
 
Ce film a bénéficié du soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, du soutien à la production de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en partenariat avec le CNC, du soutien de la PROCIREP, Société des Producteurs et de l’ANGOA, de la Fondation des artistes, des Mécènes du sud Aix-Marseille 2018, de la bourse Brouillon d’un rêve de la Scam.
 
Versions française, espagnole, anglaise.
 
Sélections Festival Cinéma du réel, compétition française, 2022 Festival Côté Court, compétition Prospective Cinéma, 2022 Festival du film de Pesaro, Italie, compétition internationale, 2022 Festival Curtas Vila do Conde, Portugal, compétition internationale, 2022 Festival Walk and Talk, São Miguel, Açores, Portugal États généraux du documentaire, Journée Brouillon d'un rêve, Lussas, 2022 Festival international du film de Reykjavik (Islande), section Documentaires, 2022  Festival de cinéma contemporain “Black Canvas”, compétition internationale “Nuevo Horizonte”, Ciudad de México, Mexique, 2022 Festival international du film documentaire, compétition “Testimonies”, Jihlava, République tchèque, 2022  Festival Cámara Lúcida - Encuentros Cinematográficos de Cuenca, Équateur, 2022 Festival Frontera Sur, Festival Internacional de Cine de No Ficción, section “Iluminaciones”, Concepción, Chili, 2022 Festival du film documentaire DOK#5, Belgrade, Serbie, 2023 EDOC, Encuentros del otro cine, Quito, Équateur, 2023 Festival international du film sur l'art (FIFA), section Fifa Expérimental, Montréal, Québec, 2023 L'École des Impatiences, Dieppe, 2023 Museo de Arte Moderno, Buenos Aires, Argentine BAFF, Brussels Art Film Festival, Panorama international, 2023 Filmoteca de Catalunya, Barcelone, 2023 Festival Corsica.Doc, Ajaccio, 2024.
 
Distinctions Prix du Patrimoine culturel immatériel, Cinéma du réel, 2022 Nominé au César dans la catégorie du Meilleur court métrage documentaire, 2023.
 
Diffusion BIP TV / Arte (La Lucarne), 5 décembre 2023.
 
Exposition Biennale de Mardin, Turquie, 2024.
 
Entretiens Le Club de Mediapart, Entretien avec Viola Scarpa Débordements, Entretien avec Barnabé Sauvage
 
Publications Langue des oiseaux, Doletiana, Revista de traducció Literatura i Arts, 5/6, Université autonome de Barcelone, 2016. [Trad. espagnole, Lengua de los pájaros, in Pájaros, Pasión Rivière (coord.), Shangrila Textos Apartes, 2022, 132-153].
 
Presse Giampiero Raganelli, Langue des oiseaux, Quinlan, Rivista di critica cinematografica Riccardo Bellini, Language of Birds, pointblank, Rivista online di critica cinematografica Francesco Grieco, 58° Pesaro Film Festival, CineCriticaWeb Doina Ioanid, Distopii, utopii și reflecții despre planeta noastră, Observator cultural Marc Belpois, Langue des oiseaux, Télérama, n°3855, novembre 2023.