Le Quatuor ambigu
NOTE SUR LE FILM
D’inspiration surréaliste et fantastique, doué d’un style précieux et baroque, l’imaginaire de l’écrivain André Pieyre de Mandiargues se situe à l’interface de la voyance et du langage, dans une sorte d’en deçà du visible. Où se forment les images ? Ne sont-elles pas tout entières encloses dans le langage ? Le cinéma n’est-il pas, dès lors, étranger à son art ? Première équation.
Difficile également aujourd’hui d’aborder le caractère souvent masculin de son imaginaire. Comment lire aujourd’hui Mandiargues en termes de genre ? Où se trouve la place d’une parole féminine qui ne soit pas soufflée par l’homme ? Il est curieux à cet égard d’observer l’influence des artistes femmes au cours de sa carrière. Leonor Fini, Bona de Mandiargues, Meret Oppenhemin, Leonora Carrington l’ont accompagné au fil du temps. Sont-elles les dactylographes invisibles, les subalternes ou les ouvrières secrètes de l’œuvre ? Seconde équation.
Réalisé dans un contexte pédagogique à l’École nationale supérieure d’art de Bourges, à l’invitation d’Alexandre Castant, Le Quatuor ambigu tente de résoudre les équations. Quatre jeunes femmes, inspirées des quatre artistes, s’attachent à lire, à déchiffrer, à dicter le texte de Mandiargues, à la manière de copistes ou de médiums, découpant les mots pour en révéler la mécanique particulière avant de délivrer à leur tour leur propre parole.
On est souvent frappé par le caractère dissonant, rêche, grinçant de l’écriture du poète. “Je pense à Webern surtout”, écrit-il, “à ses jeux brefs de sonorités, à ses notes ou groupes de notes qui bondissent comme des balles, qui surgissent d’on ne sait où, montent ou tombent dans on ne sait quoi, s’apparentent aux mots purs, détachés du contexte, dans la poésie moderne.” L’écriture, dit-il, doit faire entendre des grincements de girouette.
Par son langage d’objets, sa composition musicale, ses jeux hermétiques et ses masques, Le Quatuor ambigu se propose d’offrir des énigmes dissonantes en guise de clés.
Paris, novembre 2020
Son : Céleste Thouin, Anne Depoutot.
Régie : Justine Dewitte, Benjamin Klipper dit Kurz.
Montage : Arnaud Deshayes.
Étalonnage : Julia Mingo.
Mixage : Mikaël Barre.
Textes : Bona de Mandiargues, Leonora Carrington, Leonor Fini, André Pieyre de Mandiargues, Meret Oppenheim.
Musique : Mauricio Kagel, Carlos Gardel.
Scénario, réalisation : Érik Bullot.